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Causerie. Lyon, le 30 août 1894.

Les chasseurs de la région viennent d'avoir une belle venette; n'a-t-il pas été sérieusement question, pendant plusieurs jours, de reporter au 2 septembre, l'ouverture de la chasse annoncée pour le 26 août ? Il faut avoir l'âme d'un fervent De St-Hubert et savoir qu'il n'est pas pour lui, dans toute l'année, de solennité comme l'ouverture, pour se faire une idée de l'anxiété que cette nouvelle répandit dans les légions de chasseurs qui attendaient, bottes graissées et fusil prêt au feu, l'arrêté préfectoral.

Heureusement ce n'était qu'une fausse alerte. Dimanche, malgré l'ardent soleil, parmi les monts et les plaines, des milliers de chasseurs se sont répandus, — car il est à remarquer que plus le gibier diminue, plus devient énorme le nombre de ceux qui le pourchassent.

Sans doute la chasse s'est démocratisée, en ce sens qu'aujourd'hui toutes les classes de la société s'y adonnent. Mais pour avoir quelque chance d'échapper à la hideuse bredouille, il faut faire partie d'une chasse gardée laquelle coûte toujours relativement assez cher. Avec les frais accessoires qui sont multiples, l'agrément de faire parler la poudre revient donc a un taux que toutes les bourses ne sauraient supporter. Un mien ami, qui pourtant n'est pas actionnaire d'une chasse princière en quoi que ce soit, a établi, l'an passé, le prix de revient de son gibier. Dans ce compte fantastique, mais nullement fantaisiste, le perdreau ressortait en moyenne à vingt francs par tête, et le lièvre tout près de deux louis.

Coûteux rôtis et onéreux civets ! Mais c'est une joie si passionnante de parcourir les champs avec un bon chien, à la poursuite d'un gibier même rarissime ! Les profanes ne se doutent point de ces émotions profondes et sans cesse renaissantes, qui étreignent si puissamment qu'on oublie tout le reste. On s'éreinte. direz-vous ? On revient souvent le carnier vide? Qu'importe, si on a eu une belle journée de plein air et d'illusions entraînantes ! Et puis, comme dit l'autre, cela vaut toujours mieux que d'aller au café...

Avec le mois de « la purée septembrale » revient la saison des théâtres. Les Célestins vont rouvrir leurs portes, ce qui redonnera un peu d'animation à ce quartier aujourd'hui si délaissé et si morne, après avoir été jadis si bruyant et si brillant. Il n'est pas de vieux lyonnais qui ne se souvienne de l'ancienne place des Célestins, avec ses cafés-concerts et ses restaurants de nuit. Le théâtre des Célestins était alors la première scène de comédie de province, venant immédiatement après les grande théâtres parisiens. Autour de ce centre se groupaient les cafés chantants, les guignols, les lieux déplaisir, fréquentés parla jeunesse folle, le monde qui s'amuse et les artistes. C'était, dans ce milieu point bégueule, une exubérance de vie facile, un éternel mouvement joyeux dont il ne reste pour ainsi dire plus rien...

On y trouvait presque à demeure les célébrités artistiques du cru. Et il n'y a pas bien longtemps que l'on montrait encore, au café Berthoux, la table sur laquelle Rossignol-Rollin rédigeait ces proclamations truculentes qui ont fait sa gloire. Oh! ce Rossignol-Rollin, quel étonnant Barnum ! Véritable Mirabeau de la réclame, comme il savait, à grands coups d'affiches, amener les foules à ses luttes athlétiques !

Qu'on en juge par ce spécimen :

Dimanche 22 novembre 1863 PALAIS DE L'ALCAZAR LUTTE A OUTRANCE !!! Peuple Lyonnais ! Enfants de Lyon !

La vie c'est la lutte ! La lutte c'est la vie !!

Lutte à outrance ! Vaincre ou mourir!

Pas de vaines paroles, mais des actes, des faits !

Quand on se nomme Rossignol, noblesse oblige !! A moi mes athlètes, Modèles de la création ! Tous beaux comme l'Antique ! Et forts comme on ne l'est plus ! Leurs pareils à deux fois ne se font pas connaître, Et pour des coups d'essai veulent des coups de maître!

On a beaucoup parlé des Hercules et Gladiateurs de l'Antiquité !

Misère et camelote que tout cela!

Arrière ! ! ! Grecs et Romains de la Décadence !

Vous n'étiez que des atomes auprès de mes sujets!

Chers Lyonnais,

J'ai choisi de par le monde entier, pour vous, les présents, les Hercules les plus redoutables, m'inspirant de ce vers célèbre : A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire !

Et maintenant, n'oubliez pas que, du haut de Saint-Just et de la Croix-Rousse, cent mille Lyonnais viennent pour vous contempler !!!

Pas de merci !!

Le combat finira faute de combattants !!

Votre dévoué et reconnaissant, ROSSIGNOL-ROLLIN.

Rossignol-Rollin n'a pas eu de successeurs dans l'art du boniment épique. La réclame aujourd'hui ne trouve plus de ces grandiloquences. Tout le monde en fait, mais très peu savent en faire. Et depuis le grand Rossignol je ne vois guère que M. Koning qui ait imaginé une formule nouvelle, le jour où il a mis dans les journaux que le Gymnase, son théâtre, faisait « plus que le maximum. » Mais cela même n'est qu'ingénieux, tandis que l'affiche reproduite plus haut était géniale...

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